Refus d’extradition du président Bozize par la Guinée Bissau : un cinglant désaveu pour Faustin Archange Touadera
Avril 2014, Yaoundé. J’ai une discussion animée et empreinte de sincérité avec le fraîchement ancien président centrafricain. Deux semaines plus tôt, les rebelles de la coalition Seleka sont rentrés sans coup férir dans Bangui, se sont emparés du palais de la Renaissance et l’ont contraint en exil. Une seconde fois.
L’homme qui me reçoit est visiblement préoccupé, pensif, pétri d’une colère qu’il rumine tel un fauve blessé et qu’il s’efforce à ne rien laisser transparaître. Il a accepté de me recevoir en sachant que je n’ai jamais été tendre avec lui et que ses anciens collaborateurs m’ont collé l’étiquette d’opposant. C’est à l’épreuve du feu, lorsque les certitudes vacillent, comme dirait Jacques Chirac que les vrais caractères des hommes se révèlent. Avant, il est toujours possible de se bercer d’illusions.
J’essaie de deviner les sujets qui habitent l’esprit de ce grand félin, qui a appris les ficelles du pouvoir en observant l’ex-empereur Jean Bedel Bokassa de triste mémoire. Pense-t-il aux erreurs qu’il aurait pu éviter ? À la trahison de ceux à qui il a fait confiance durant les dix ans de son magistère, qui ont usé leur langue à lécher ses babouches, et qui se sont empressés de prêter allégeance au nouveau maître de Bangui, vitupérant contre lui au passage ? À ses parents, notamment sa mère qu’il aime tant et dont la tombe à été profanée par les rebelles ? Certainement à tout cela en même temps.
Trois jours à peine après le coup d’État, je m’étais rendu dans la capitale centrafricaine et j’avais dû me pincer à plusieurs reprises pour réaliser toutes les méchancetés que ses anciens collaborateurs disaient sur lui. N’a-t-on pas entendu, l’un des anciens chefs d’état-major de l’armée déclaré, au cours d’une réunion avec Michel Djotodia que « Bozize dirigeait l’armée avec ses fils? » Ce qui, bien sûr, ne correspondait pas à la réalité. Surtout que celui-ci clamait partout que les autres appelaient l’ancien président « Excellence » et que lui seul disait « François ». C’est dire leur proximité.
J’informe l’ancien chef de l’Etat que je revenais de Bangui et ce que j’y ai vu m’inspirais une grande inquiétude. « Vous avez fait preuve de courage en allant dans cet enfer », répond-il. J’objecte qu’il est en partie responsable de cette situation catastrophique en ayant pas suffisamment tenu compte des sonnettes d’alarme. Parlant de lui à la troisième personne, il rétorque que « Bozize n’a pas dirigé le pays seul. Il a confié des responsabilités à un certain nombre de compatriotes de toutes les régions du pays. Certes Bozize est en partie responsable de la situation mais il n’est pas le seul coupable. Car il y avait un gouvernement et des services, chacun devait assumer les devoirs de sa charge avec patriotisme et responsabilité. Si tout cela est arrivé et si ces mensonges ont pu prospérer, c’est parce que les gens n’ont pas fait correctement leur travail. Voyez-vous, Bozize ne pouvait pas tout faire, être derrière chaque chef de service où chaque fonctionnaire ». Dont acte.
Vous vous demandez sûrement où je veux en venir. Tenez, le 30 avril dernier, la Cour pénale spéciale a rendu public un mandat d’arrêt international décerné contre l’ancien président pour les crimes commis sous son régime entre 2009 et 2013. Que ce soit clair: je ne nie pas la réalité de ces crimes (mon ami et frère Charles Massi a disparu pendant cette période) et je ne souhaite pas me transformer en avocat défenseur du président Bozize. D’ailleurs, il bénéficie déjà des compétences juridiques de l’excellent Nicolas Tiangaye pour avoir besoin de ma modeste personne.
Mais je tiens surtout à rappeler – parce qu’on a souvent tendance à l’oublier – que c’est Faustin Archange Touadera qui dirigeait le gouvernement centrafricain dans la période incriminée. Et il était resté Premier ministre durant cinq longues années, battant des records de longévité. Autrement formulé, en tant que Premier ministre, il porte une grande responsabilité dans les faits reprochés au président Bozize. Puisque c’est lui qui était chargé de conduire l’action gouvernementale. Donc, on ne saurait poursuivre Bozize et laisser Touadera. Cela ne fait pas sens.
La justice n’est pas la vengeance. Touadera et les siens ne peuvent pas vouloir faire rendre gorge à l’ancien président alors que continue de siéger autour de la table du Conseil de ministres, le mystique sanguinaire grand criminel contre l’humanité Hassan Bouba. Ce chef de guerre tchadien est un agent double: tout en se présentant comme l’homme des Russes en Centrafrique donne également des renseignements aux Français. Il a coordonné le massacre de nos compatriotes à Alindao et à Bambari. Ces massacres ont été documentés par la Minusca, les preuves existent. Quand la Cour pénale spéciale l’avait placé en détention, M. Touadera a tôt fait de le libérer. Il est libre de ses mouvements et continue de narguer ses victimes. On prendrait M. Touadera au sérieux s’il se mettait lui-même à la disposition de la justice et s’il faisait arrêter son vendeur de bétail.
En tout cas, l’une des particularités de M. Touadera est de s’employer à rendre le mal à tous ceux qui lui font du bien. À preuve, il a fait condamner à perpétuité l’ancien président de l’Assemblée nationale Karim Meckassoua qui avait proposé son nom pour être nommé recteur de l’université de Bangui. Idem pour le président Bozize qui avait provoqué l’ire des cadres du KNK plus compétents et plus légitimes comme le défunt ministre d’État Jean-Eude Teya en le nommant Premier ministre à la surprise générale. Je ne parle même pas de Célestin Leroy Gaoumbalet, son mentor au sein du KNK, dont il n’a même pas assisté aux obsèques. D’ailleurs, tous ceux qui ont fraudé les élections de 2016 pour le placer à la tête de l’Etat ont appris son ingratitude à leur dépens. Comme quoi, quand tu soigne un impuissant sexuel, il finit par tester son appareil restauré sur ta propre femme. Il s’agit d’un proverbe burkinabè.
Au-delà du désaveu que constitue le refus du président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embalò de livrer le président Bozize à la haine de son ancien Premier ministre, cette décision implique trois éléments d’analyse importants. Le premier, M. Touadera et les siens manquent cruellement de sérénité. Derrière chaque Centrafricain, ils soupçonnent un potentiel putschiste. C’est un signe des temps.
Deuxièmement, les autorités bissau-guinéennes ont appris comme tout le monde l’existence du mandat d’arrêt international décerné contre le président Bozize. Il n’est venu à l’idée de personne à Bangui de les prévenir préalablement. D’où leur réaction.
Enfin, et c’est de loin le plus important, M. Touadera va finalement se rendre compte que son criminel de ministre en charge de l’élevage est un fieffé menteur, un affabulateur de première classe. Lui qui a toujours vendu à M. Touadera sa supposée proximité avec le président Embalò, au nom de leur appartenance à l’ethnie peule, et qui lui a souvent fournit de pseudo informations supposément reçues de sources bissau-guinéennes sur la vie du président Bozize sur place.
En réalité, le chef de l’État bissau-guinéen ne le connaît ni d’Eve ni d’Adam. Ce n’est pas parce qu’il a réussi à se faire prendre en photo une fois en sa compagnie dans le couloir d’un centre de conférence de Moscou qu’ils sont devenus des amis de trente ans.
À l’évidence, les sommeils de M. Touadera et les siens continueront toujours d’être hantés par le fantôme du président Bozize qu’ils voient partout. Et c’est mieux ainsi.
Fait le 3 mai 2024
Adrien Poussou